Depuis 2017, ce n’est plus Léa mais Louis qui est aux commandes du restaurant Léa Linster à Frisange. À trente ans, le chef sort de l’ombre de sa célèbre maman et affirme sa personnalité dans sa cuisine
L’histoire semble parfois se répéter : Lorsque Léa Linster a repris l’auberge familiale à Frisange (avec station-service et bowling), en 1982 après la mort de son père, elle avait 27 ans et était étudiante en droit. C’est l’âge auquel son fils Louis, alors étudiant en gestion d’entreprise à Lausanne, a définitivement décidé de rester aux fourneaux et diriger les cuisines du restaurant qui affiche une étoile au Guide Michelin depuis 1987.
Le petit Louis a grandi entre les casseroles et les poêles, avec les parfums et les saveurs des ingrédients que cuisine sa maman. Il est tôt initié à la haute gastronomie : pour ses trois ans, il dîne chez Alain Ducasse à Monaco. Toute sa jeune vie est marquée par des rencontres de chefs prestigieux : Paul Bocuse, bien sûr (Léa Linster reste à ce jour la seule femme à avoir remporté le fameux Bocuse d’Or, en 1989), mais aussi tous autres grands noms de la gastronomie française, parmi lesquels « Pierre Gagnaire reste mon préféré, celui avec lequel je rêve de travailler une fois ».
À vivre en cuisine et à côtoyer les plus grands, Louis apprend et vite. Il cuisine seul avant ses douze ans – des pâtes, des œufs, des crêpes – puis aime peaufiner des plats « goûter, adapter, regoûter, changer ci ou ça, pour que ce soit parfait ». Pourtant, après les années d’internat à Echternach, ce n’est pas vers une école hôtelière qu’il se tourne, mais vers la gestion et le management : « Il fallait que je voie autre chose, je n’avais connu que le restaurant. » Mais quand, en 2012, Léa Linster lui demande un coup de main pour la gestion du restaurant, il ne peut s’empêcher de passer en cuisine. « Progressivement, j’ai pris du plaisir à cuisiner, j’ai senti que j’étais capable de mener le restaurant et que j’avais envie de m’y consacrer. »
Bon sang ne saurait mentir. En 2017, Louis prend vraiment les rênes de la maison : « Deux chefs, ça n’existe pas. J’ai dit à maman que c’était elle ou moi », se souvient-il, mi-amusé, mi-ému. Il conserve cependant le nom de l’établissement, celui de sa maman, celui qui a fait la notoriété de l’endroit, celui à qui il doit tout, mais qu’il espère secrètement dépasser un jour en étant « encore meilleur et plus moderne ». La première (r)évolution de Louis : abandonner la carte pour proposer un menu, qui change toutes les six à sept semaines. Aux convives de composer leur menu en quatre, six ou sept services où figurent de nombreux produits nobles et raffinés : foie gras, homard, caviar, bœuf wagyu… La transition s’est faite sans heurts, mais pas sans questionnements. « Au début, les habitués étaient étonnés, ils demandaient parfois des anciens plats. Mais aujourd’hui, ils demandent plutôt quand arrive le nouveau menu. »
Désormais, Louis Linster sert une cuisine française moderne, avec des influences du monde entier qu’il a été puiser dans ses voyages en Espagne ou au Japon, en Thaïlande ou au Mexique. Il tient à « sourcer » les meilleurs produits, à la fois dans le goût mais aussi dans le respect de la production et veut « les magnifier dans l’assiette, avec une cuisson parfaite et peu de distraction autour. » Pour cela, il travaille sans relâche et recherche les bonnes techniques qui pourront servir à améliorer le plat. Une cuisson sous-vide, mais courte, un pochage à l’huile tiède, un flambage… « pas du gadget, il faut que ça apporte quelque chose à la cuisine. »
Autour de Louis, l’équipe a également évolué pour insuffler une nouvelle jeunesse, même si le pâtissier est dans la maison depuis 22 ans. Être autodidacte au milieu d’une brigade qui a roulé sa bosse dans des restaurants de haut vol ne le gène aucunement : « J’ai été formée par une cheffe exceptionnelle, ma mère est mon modèle ». Louis œuvre aujourd’hui à maintenir le cap dans une situation difficile pour le monde de la restauration. « Les gens ont changé leurs façons d’aller au restaurant, il n’y a presque plus que des tables de deux et peu de prévisibilité au jour le jour. » Aussi discret et calme que sa mère est bouillonnante et chaleureuse, le trentenaire assume son ambition. Il rêve d’une deuxième étoile, estimant que « on ne travaille pas quinze heures par jour pour rien », tout en rappelant que « ce sont les clients qui comptent ». Un jeune homme à garder dans le viseur.
Article initialement paru dans d’Lëtzebuerger Land du 16.10.2020 (photo: Guy Wolff)