Sacré Meilleur Chef de l’année par Identità Golose, Marco Ambrosino régale ses convives avec un menu qui puise dans dans les traditions de la Méditerranée. Embarquement pour Sustanza
La Galleria Principe di Napoli, en face du musée archéologique, est en plein travaux de rénovation. Il semble un peu audacieux de s’y aventurer, mais c’est bien l’adresse du restaurant Sustanza, recommandé par mon ami Giovanni. Mais il faut se donner la peine: le Scotto Jonno au rez-de-chaussée et le Sustanza à l’étage ont été magnifiquement restaurés en gardant l’esprit Belle Époque de cet ancien café chantant du 19ᵉ siècle : boiseries Art déco, mobilier vintage et tapisseries de luxe offrent un cadre caché et enchanteur et une atmosphère raffinée qui donne l’impression d’entrer chez des amis (un peu friqués).





Aux fourneaux, le chef Marco Ambrosino, originaire de Procida, propose une cuisine méditerranéenne audacieuse, réalisée autour de techniques modernes comme la fermentation et l’usage de produits anciens (comme le garum romain). Son menu met les légumes et la mer à l’honneur. Le guide Identità golose l’a récompensé comme chef de l’année 2025, saluant « une identité très forte qu’il exprime dans chaque détail. Son menu est un voyage passionné dans les traditions de la Méditerranée, en dehors de tous les stéréotypes. » Il faut dire qu’en tant que port, Naples a toujours absorbé les influences diverses dont celles qui arrivent depuis l’autre côté de la mer.
L’accueil est précis et avec beaucoup d’explications d’abord sur les lieux, puis sur l’apéritif.

On démarre avec un cocktail sans alcool : tonic à base de sumac, baies de genièvre et vinaigre de cidre depomme. Les amuses-bouches annoncent déjà le style du chef qui veut bousculer les traditions et n’a pas peur de mélanger les influences. Chawanmushi au basilic. Boudin salé avec une fraise marinée pendant la nuit dans du vermouth et une crème de colatura d’anchois et une feuille de câpre
On passe à la salle à manger avec l’explication des menus, On salue l’adaptation au régime sans gluten avec des précisions pour chaque plat. Ce que l’on reçoit à lire, ne sont pas des propositions de plats, mais une longue liste d’ingrédients : difficile d’imaginer les préparations. 5, 8 ou 10 services : Le petit menu suffira surtout qu’on nous annonce des mises en bouche et un prédessert…

Voilà donc pour démarrer : un flan au miso avec des herbes fraiches et une huile de Sicile. À côté, un radicchio rouge avec laqué au miel et vinaigre de pomme, avec une crème de cacahuètes et d’agrumes. Puis un macaron, beurre et anchois.
Le pain est fait maison avec une farine de blé sicilien ancien, le Tumminia. « Nous achetons le blé, le moulonsà notre convenance, le faisons lever au levain et préparons le pain », détaille le maître d’hôtel. Le beurre est aussi préparé par le chef, moitié fermenté, moitié fumé, recouvert de poudre d’oignon brûlé. Pour varier les plaisirs, on nous sert une branche d’origan de Sicile, accompagné d’une huile jeune.


Toujours avant d’entrer dans le vif du menu: versé sur des herbes (chicorée, ciboulette), un bouillon delégumes fermentés, travaillé comme une solera : chaque jour, un nouveau bouillon est ajouté à la base. «Cela fait environ deux ans que nous le régénérons», explique le serveur. Le piquant des herbes se mélange à la profondeur fermentée du bouillon. Très belle entrée en matière.
Suit une salade de printemps : un mélange de légumes (asperge, fenouil, haricot, artichaud, chou…) crus, cuits, conservés, fermentés. En dessous, il y a une émulsion de truffe noire, une crème de petits pois grillés.Au-dessus, de la muscade, de la poudre de chou noir et une sauce à base d’eau de truffe et d’herbes. Des bouchées fortes en goût, qui poussent l’audace de l’amertume.


Voilà (enfin) la première entrée : Huître et seiche à l’huile d’argan. Émulsion d’un bouillon de mer, aromatisé àla lavande. De l’autre côté, un granité de salmoriglio, une sauce à base d’ail et d’herbes (ailleurs, on dirait salsa verde). On sent (heureusement) peu la lavande, mais elle apporte cette nuance florale qui adoucit le bouillon très corsé. La seiche a une texture souple, avec une légère résistance.
Primo piatto di pasta : lumachine, des pâtes de blé dur en forme d’escargot. En dessous, des légumes grillés, presque crémeux et par-dessus une sauce aux amandes, des olives grillées et du pecorino rappé.

Ce qui arrive quand on est trop concentré pour profiter du repas et comprendre (en italien) les détails du plat : pas de photo du poisson. C’est un vivaneau maturé 12 jours puis mariné dans du citron et du pain fumé et enfin cuit au gril. Il est accompagné de peschiole (sorte de pêches naines, cueillies avant maturité, qui n’ont pas encore de noyau), d’herbes marines et quenelle d’arachides, une sauce à l’ail des ours. C’est servi avevc une soupe iodée avec de la livèche, du citron et du pul biber, un piment turc. Excellent mélange entre le citron et le piment qui relève ce poisson blanc.

Le plat plat de viande est, comme souvent chez Sustanza, du mouton. Il est accompagné de polenta, poudre de citron noir, huile de myrte. La sauce est à la rose, façon « arroie », une technique développée par les Arberèches, que nous résume le maître d’hôtel. « Quand on partait travailler le matin, on mettait tout dans unegrande marmite sur le feu, on laissait cuire, le soir on rentrait à la maison, on mangeait ce qu’on trouvait dansla marmite. » À côté, un petit babut, un pain d’Afrique du Nord, laqué à la graisse de mouton, garni d’un pâtéde foie, d’un gel de marsala et de feuilles de vigne. On trouve aussi une saucisse de viande et de mouton d’origine turque, préparée avec du radicchio rouge et de l’angostura.
Un plat complexe et très réussi, qui donne encore plus de crédit au chef dans le choix inhabituel du mouton, en l’utilisant en plusieurs parties et textures, en maintenant l’aura méditerranéenne et l’élégance qui ont été le fil conducteur du dîner.

Pré-dessert : Sorbet aux feuilles de figuier, sel, huile d’olive et feuilles de laurier. Belle fraîcheur
On arrive finalement un dessert signé Federico Andreini, un pâtissier qui déteste le sucre. Galette de tumminia, inoculé avec du penicillium candidium, qui est la spore utilisée pour faire du fromage de brie. Accompagnée de nèfles fraîches et fermentées et un sorbet au pistache mastic. À côté, une variante de la mloukhia avec des figues, perles de tapioca et un pain éthiopien (ingera) à la farine d’épeautre. C’est léger peu sucré, très digeste.


Le pâtissier vient présenter les mignardises… en français. Feuille de citron, écume d’ouzo, verjus et épices. Racine de scorsonère, fermentée dans l’eau de la mozzarella, avec les épices. Meringues de laitue de mer avec un beurre de nèfle. Bonbon de figue de Barbarie et tabac. Tonique à base d’herbes amères.
La carte des vins privilégie les vins naturels, bio et biodynamiques, en parfaite adéquation avec l’esprit fermentaire et méditerranéen de la cuisine
Mention spéciale à la sélection musicale concoctée par le chef qui mélange de l’afro-jazz, du funk, des fanfares des Balkans et des titres italiens méconnus.
Au bout du compte, Sustanza se distingue comme une table créative et sophistiquée, alliant le charme d’un lieu historique à une cuisine moderne et inventive. Marco Ambrosino confirme un rapport quasi politique avec la cuisine avec la Méditerranée en tant que bassin de rencontre de différentes cultures qu’il veut réunir. Il explore sans crainte les fermentations et l’amertume, créant une expérience d’une profondeur inégalée, emmenant le client sur une terre qui n’appartient vraiment à personne et donc à tout le monde.
Une expérience surprenante, riche en émotions, pour ceux qui veulent rompre avec les traditions gastronomiques habituelles.
Sustanza
13, Galleria Principe di Napoli à Naples
Tél : +39 081 379 5766
sustanzanapoli.com