La série The Bear est une plongée aussi nerveuse que touchante, dans un petit resto familial de Chicago
Vous aimez les films des frères Safdie (Good Times, Uncut Gems) que l’on regarde en apnée, suspendus aux pas de courses de héros un peu torves ? Vous tremblez avec les restaurateurs quand Gordon Ramsay (ou Philippe Etchebest, selon les versions du Cauchemar) pousse une gueulante en ouvrant les frigos ? Vous avouez un petit faible pour Philip Gallagher dans Shameless ou pour les petits mafieux qui jouent les gros bras ? La série The Bear (sur Disney +) est faite pour vous.
En seulement huit épisodes de 30 minutes, on plonge dans une histoire de famille, de passion et de pression, où le chaos qui réside dans la cuisine répond au chaos dans la tête de Carmen «Carmy» Berzatto (Jeremy Allen White, le Lip Gallagher de Shameless, donc). Ça se passe dans un petit boui-boui familial à Chicago que le jeune chef, passé par les plus grandes cuisines du monde (l’allusion à Noma est assez lisible), doit reprendre à la suite du suicide de son frère.
Il met les pieds dans un gros foutoir dont il se sent responsable : les déconvenues du restaurant répondent à celles de la famille où les non-dits et les rancœurs se sont accumulées, comme les dettes du resto d’ailleurs. Il voudrait mettre de l’ordre dans les cuisines mais doit aussi mettre de l’ordre dans sa vie. Tout le monde a vécu avant son retour au bercail : ce frère qu’il n’a pas pu sauver, ce cousin qui a pris les rênes du resto en se liant avec des personnages peu recommandables, le personnel en place qui a ses habitudes et ses manières de fonctionner (pas toujours très clean)…
Concentrée sur le coup de feu, cet instant d’ébullition qui précède le service, la série décrit parfaitement l’engagement quotidien de chacun composé d’une multitude de petits détails dans l’organisation. Le cauchemar est bien réel devant les fourneaux du Original Beef of Chicagoland : problèmes sanitaires, livraisons foireuses, coupures de courant, impacts de balles dans la vitrine, factures impayées…
Dans cet espace limité de la cuisine, la caméra suit – essentiellement en plans séquences nerveux, pris à ras des casseroles – la danse des couteaux pour les préparatifs, la chaleur de la vapeur, les éclaboussures de graisse, les corps qui se cognent, les cris qui fusent. Elle se rapproche des visages pour mieux montrer le sang qui monte aux tempes lors les prises de tête… La cadence est infernale et ne s’apaisera qu’à de rares moments comme pour reprendre son souffle, ironiquement quand les personnages sortent pour fumer.
Une des grandes réussite de la série créée par Christopher Storer est la galerie de personnages aux parcours, aux accents et aux ambitions divergents, mais qui sonnent toujours justes. Avec cette mise en scène effervescente, le réalisateur réussit à nous faire sentir les odeurs d’une cuisine en constant bordel, à nous donner envie de sandwich au bœuf (avec la sauce chaude aux oignons et piments, de poulet aux poivrons (le plat phare de la famille) ou d’un hot-dog avec moutarde ET ketchup. Et à nous préparer pour la saison 2, annoncée pour le mois de juin.