Comment la bûche de Noël est devenue incontournable
La bûche est un des éléments principaux du repas de Noël, au même titre que les huîtres, le foie gras ou la dinde. Classique à la crème de marrons, aux fruits ou au chocolat, glacée ou non, le choix est vaste dans les rayons des pâtisseries et des traiteurs. Certains rivalisent d’audace et d’inventivité pour créer des bûches folles et originales. Dans certains palaces parisiens ou pâtisseries de luxe ce sont même de véritables oeuvres d’art, très éloignées du morceau de bois.
Comme beaucoup de traditions que l’on croit immémoriales, la bûche en tant que dessert est relativement récente. En revanche son origine ferait (le conditionnel est toujours de mise quand on fouille dans l’histoire culinaire) référence à une tradition qui date du Moyen Âge. Il était de coutume de mettre à brûler une bûche dans l’âtre à Noël qui devait se consumer très lentement et durer parfois trois jours selon les régions, parfois même jusqu’à l’Épiphanie. Un héritage païen lié au solstice d’hiver où l’on brûlait pendant plusieurs jours un tronc d’arbre afin de garantir une bonne récolte pour l’année à venir. Le bois était arrosé de vin ou de miel (pour garantir de belles vendanges et de belles récoltes) ou de sel (pour préserver la maison de la foudre, des incendies, des sorcières, du diable). Elle provenait de préférence d’un arbre fruitier, d’un chêne ou d’un hêtre. On en rencontre encore des traces aujourd’hui dans les fêtes traditionnelles de Noël comme la fête de « Yule », dans les régions nordiques, ou du « Cacho Fio » en Provence. Dans différentes régions françaises, la bûche portait des noms divers : choque (Picardie), suche (Bourgogne), tronche (Franche Comté), calignaou (Provence), terfougeau de Nau (Poitou)…
Avec l’urbanisation croissante, la bûche de Noël a perdu en popularité, sans doute parce qu’il n’était pas aisé de transporter un énorme morceau de bois chez soi. La vraie bûche en bois a alors été repensée sous forme de gâteau. Il est impossible de savoir quel pâtissier en aurait-été l’inventeur. Certains attribuent sa création à un apprenti pâtissier de Saint-Germain-des-Prés en 1834. Pour d’autres, la bûche de Noël est née à Lyon dans les années 1860 dans la cuisine du chocolatier Félix Bonnat. On évoque aussi la recette de crème au beurre d’Antoine Charabot de la maison Quillet à Paris en 1879. Parmi les 1 600 recettes de gâteaux et de pâtisseries régionales que Pierre Lacam publie dans Le Mémorial historique et géographique de la pâtisserie (1890), on trouve bien une recette de bûche comestible. Elle consiste en un rouleau de génoise (un biscuit riche et aéré) assemblé avec de la crème au beurre aromatisée au café ou au chocolat, décoré de petites « branches » découpées dans d’autres morceaux de génoise, et recouvert d’une couche de crème au beurre à l’aide d’une douille cannelée pour créer l’effet d’une écorce.
Ce n’est pas anodin que la bûche soit passé de l’âtre à la table à l’époque où l’électricité, le charbon et le gaz équipent de plus en plus les habitations. Allant de la cheminée à l’assiette, du bois au gâteau, la chose change de nature mais le signe demeure. Quand on mange une bûche de Noël, on ne consomme pas seulement une génoise et de la crème au beurre. On avale le symbole de ce qu’elle représente. En reprenant les termes du sociologue et philosophe Jean Baudrillard, on mange un simulacre de bûche de bois dont la fonction est de simuler Noël, d’en recréer l’illusion. Pour lui, cette feinte est caractéristique de la postmodernité : Notre réalité est devenue un grand système de signes, d’imitations du réel, une sorte de spectacle permanent dans lesquelles nous jouons des rôles.
Au début du vingtième siècle, les recettes de bûches ont commencé à apparaître dans les livres de cuisine. La difficulté de rouler le gâteau sans qu’il ne se fissure ou ne se brise décourage bien des amateurs. Le défi de cette confection assure aux pâtisseries de garder la main et une rente saisonnière au même titre que la galette des rois (le feuilletage est assez casse-gueule) ou les oeufs de Pâques (manier le chocolat n’est facile pour personne).
Article initialement paru dans Lëtzebuerger Land