La vie gourmande d’Aurélia Aurita est un récit intime et sensuel où les nourritures du corps et de l’esprit s’entremêlent pour une ode à la vie
D’Aurélia Aurita, je ne connaissais pas Fraise et chocolat, un de ses premiers albums, sorti en 2006, récit érotique et autobiographique sur ses relations avec son amant Frédéric Boilet, lui aussi auteur de bandes dessinées. Je ne savais pas qu’elle était d’origine cambodgienne et que son nom était Hakchenda Khun (prénom souvent raccourci en Chenda). Mais j’avais lu Comme un chef où le scénariste Benoît Peeters (Les Cités Obscures) raconte sa passion pour la cuisine, avec les dessins d’Aurélia Aurita.
Quand ma fille m’a offert La vie gourmande (paru chez Casterman en 2022), j’ai pensé qu’il s’agirait de pérégrinations culinaires auprès de chefs plus ou moins célèbres, dessinées avec ce trait caractéristique qui mêle l’esquisse brute aux détails les plus précis, le noir et blanc qui s’illumine de couleurs quand arrivent les plats..
Et ça commence à peu près comme cela, quand, après un épisode sur la mort de sa grand-mère et l’évocation de la cuisine de celle-ci, l’autrice nous invite dans les cuisines de Pierre Gagnaire. Elle y passe quelques jours pour croquer de ses crayons l’ambiance des coulisses. On a l’eau à la bouche, on mesure le travail qui amène à la qualité exceptionnelle des plats. On sourit aussi de la manière dont Aurélia Aurita associe le manger à la sensualité, voire à la sexualité.
Mais l’autobiographie gourmande prend un autre tour quand tombe l’annonce d’un cancer qui va bouleverser son quotidien. Le livre se fait plus intime, plus grave, plus profond, mais n’oublie pas de parler de nourritures et de plaisirs, avec un sens de l’humour qui fait triompher la vie. J’aurais dû mieux regarder la couverture du livre… Quand on l’ouvre, l’image de la jeune femme allongée en train de rêver à des ingrédients lève l’ambiguïté.
Parallèlement à son parcours de lutte contre la maladie, l’autrice entrecoupe son récit de souvenirs que lui évoquent des goûts ou des arômes. Elle relate ses expériences au Japon (avec une classification érudite des produits et types de cuisine), dans les Vosges ou à Paris, des cuisines d’un fast food, aux marchés en plein air, en passant par les brunchs du dimanche et les gourmandises du boulanger. Sans pratiquer un name dropping envahissant, Aurélia Aurita raconte aussi ses rencontres et ses liens d’amitiés avec des personnalités connues. On croise Jeanne Balibar, Mona Chollet ou Annie Ernaux et avec elles, un discours féministe bienvenu.
Avec un sens aigu de l’observation, un goût marqué pour l’ironie, une infinie tendresse pour ses personnages et une envie de partage des émotions, ce roman graphique est non seulement le témoignage d’une résilience, mais surtout une ode à la vie qu’on a envie de dévorer. De croquer comme elle réalise ses croquis.
La Vie gourmande, Aurélia Aurita, Casterman, 2022, 360 pages.