À l’âge où les gamins veulent devenir pompier ou vétérinaire, Killian Crowley savait déjà qu’il voulait cuisiner. « Dès mes quatre ans, je jouais dans la cuisine, je goûtais les plats, j’épluchais les carottes », se souvient ce Belgo-irlandais, originaire de Virton. « Je suis né dans une famille ouvrière où le potager était source de bons produits, mais aussi facteur d’économies. On mangeait bien, on mangeait sain ». Il se forme à l’École hôtelière de Libramont (« une formation classique, qui mène à tout ») et enchaîne très vite les expériences en cuisine. Un premier stage au restaurant Clairefontaine à quinze ans lui fait découvrir la gastronomie, « un nouvel univers fascinant », qu’il ne quittera plus. Au Luxembourg, La Distillerie, puis La Cristallerie lui fournissent ses premières armes avant de rejoindre le groupe Ducasse à Monaco pour une saison « d’une rare intensité ». À 21 ans, il est le plus jeune d’une brigade de 24 personnes qui n’a que peu le temps de souffler. « J’ai appris la discipline et le respect de la hiérarchie qui restent des cadres essentiels dans les (très) grandes maisons. »
Deux chefs vont marquer durablement l’expérience de Killian Crowley. Ce sera d’abord Christophe Hardiquest au restaurant Bon Bon à Bruxelles auprès duquel il apprend à « voir plus loin que la cuisine ». « Le chef Hardiquest développe des centres d’intérêt dans beaucoup d’autres domaines que la gastronomie. Il est très humain et s’intéresse à la culture, à la personnalité de ses clients. Avec lui, j’ai compris que la cuisine était un vecteur de culture et que ce n’était pas commettre un adultère que d’avoir d’autres passions. C’était un passage important pour moi d’autant que j’étais là quand nous avons obtenu la deuxième étoile. J’y ai vécu deux années incroyables ! »
L’autre « père » en cuisine, c’est le JP McMahon au restaurant Aniar à Galway (ouest de l’Irlande). Un tout autre registre : C’est un tout petit restaurant, avec 24 couverts, ouvert seulement le soir et une cuisine d’auteur revendiquée d’un chef autodidacte qui se plaît à répéter qu’il n’a jamais mangé dans un restaurant étoilé à part le sien. « On était très proche des produits et des producteurs, de la nature et de ses aléas, de la mer. » Le chef partage ses convictions, pousse ses équipes à cuisiner autrement, à sortir du restaurant et à se frotter aux autres. C’est ainsi que Killian se mesure au gratin des jeunes chefs en participant au S.Pellegrino Young Chef 2018, un concours mondial où il représente l’Irlande et le Royaume Uni et termine parmi les vingt finalistes. « Une occasion de faire connaître les produits régionaux de l’ouest de l’Irlande et surtout de créer de nouveaux contacts et amis, car la cuisine est une affaire de partage. »
Après quatre années à Galway, le jeune chef décide de rentrer au bercail natal et se lance dans une nouvelle voie avec sa propre entreprise, mais sans restaurant. Ça s’appelle Sonas, et ça veut dire « être heureux » en gaélique. Une belle ambition dans un métier plutôt réputé pour la difficulté des horaires, les rythmes effrénés et la pression des critiques et classements. « L’équilibre entre vie professionnelle et vie privée est tout aussi important que les meilleurs produits locaux durables. C’est quelque chose que j’ai apprise en travaillant chez Aniar ».
Sa petite entreprise ratisse large et ne limite pas ses propositions et ses offres. Il travaille comme consultant pour les restaurants, aussi bien avant leur ouverture pour cadrer une carte, créer un décor (Killian se serait bien vu designer s’il n’avait pas été cuisinier), encadrer le staff, qu’à des moments particuliers ou difficiles dans la vie d’un restaurant. « Avoir un regard extérieur peut être utile pour remonter la pente, assumer une crise, accepter un échec pour mieux repartir. » Améliorer les choses pour les clients, le personnel et le producteur sont les différents axes qu’il veut suivre. « Je pense qu’il est possible de trouver de nouvelles voies pour cuisiner, pour sortir la cuisine du restaurant. La période de crise sanitaire a d’ailleurs montré à quel point ces initiatives étaient utiles et appréciées. »
Sonas s’adresse aussi aux particuliers avec des cours de cuisine très variés (par exemple le choix des produits de saison, la cuisine au feu ou la cuisine végane) ou aux entreprises pour des team building gastronomique. Il propose aussi de cuisiner à domicile, en fonction des saisons. « Avoir un restaurant n’est pas forcément le Graal. Ce qui me motive, c’est de continuer à découvrir, à prendre du temps pour la vie, pour la pèche et pour mon chien, mais aussi à transmettre et éduquer. Quand les gens sont à table, ils sont réceptifs, ils ont envie de connaître l’histoire des produits et des producteurs qu’on leur sert. » Il se tourne aussi vers les enfants, par exemple avec une bande dessinée – P’tit chef réalisée avec l’illustratrice Clémentine Latron – avec des recettes simples et des conseils pour découvrir les saveurs et leurs associations. « Pour moi, la culture de la cuisine ne doit pas être un privilège, c’est un droit. »
Article initialement paru dans d’Lëtzebuerger Land (Photo: Mickaël Williquet)