La série Makanai, de Hirokazu Kore-eda offre un récit d’apprentissage d’une élégance irrésistible, où la cuisine tient une place centrale
Ça commence avec une soupe nabekko, une spécialité sucrée de la région d’Aomorià base de haricots rouges et de boulettes de riz. Ce repas servi par la bienveillante grand-mère de Kiyo signe le départ de Kiyo et Sumire qui quittent leur univers familial pour aller vivre à Kyoto. Cette soupe est aussi une manière de dire adieu à l’enfance car les deux jeunes filles vont entrer au okiya pour devenir maiko, une apprentie geiko (ou geisha) dont l’emploi consiste à chanter, danser et jouer du shamisen (instrument japonais à trois cordes), pour les visiteurs à l’occasion des fêtes. La série Makanai, dans la cuisine des maiko, visible sur Netflix, nous transporte dans ce gynécée ultra-codifié pour un récit d’apprentissage tout en petites touches délicates. Le réalisateur Hirokazu Kore-eda (Nobody Knows, Une affaire de famille) adapte ici Kiyo in Kyoto: From the Maiko House, un manga à succès (1,8 million d’exemplaires vendus) d’Aiko Koyama.
Il ne s’agit nullement d’une émission culinaire où on nous ferait visiter le Japon, mais la cuisine tient une place centrale dans la série. On comprend bien vite que si Sumire (Natsuki Deguchi) est délicate, précise, talentueuse et deviendra facilement maiko, Kiyo (Nana Mori) ne dispose pas de l’élégance requise pour suivre cette carrière. En revanche, elle a un talent incroyable en cuisine et va devenir makanai, la cuisinière de la maison. Pour les spectateurs que nous sommes, c’est une plongée dans la cuisine japonaise et ses variations régionales. Après les vingts premières minutes, Kiyo fait frire des aubergines et on a l’eau à la bouche. Suivront sando, takoyaki, tempura, oyakodon, udon, gyoza, dashi ou kakimochi, filmés sans ostentation, sans effets de fumée, sans bruits de couteaux, sans gros plan sur les branchies d’un poisson : c’est l’antithèse de Chef’s Table.
Cuisiner pour les maiko est pour Kiyo une façon de faire partie de ce monde en échappant un peu à sa rigueur. Au fil des épisodes, elle se transforme, s’affirme en même temps qu’elle se découvre elle-même. On voit son épanouissement quand elle cuisine et son ravissement quand les autres filles mangent. La cuisine est une manière de donner de l’attention et du réconfort aux jeunes filles qui vivent loin de chez elle. Kiyo parle aux prunes umeboshi comme à des amis, choisit les produits avec soin au marché, traverse la ville pour trouver le bon ingrédient et réalise le plat qui va faire plaisir à telle ou telle, au moment opportun. Elle sert ainsi la soupe nabekko à Sumire quand elle fait ses débuts de maiko pour lui évoquer la nostalgie de sa ville natale.
Les neuf épisodes de la série s’écoulent avec la grâce de l’anecdote. Il n’y a pas de grande dramaturgie, pas d’histoires trépidantes, pas de suspense insoutenable ou de clifhanger. On entre à pas feutrés dans cette maison, bulle fascinante, secrète, hors du temps. Il est question d’amitié, de rires, d’amours déçues, de traditions et de filiation comme autant de haïkus égrainés sur des notes de harpe.