Piments, épices, raifort, poivre, moutarde, gingembre : la bouche chauffe, le nez coule, les yeux pleurent, les joues rosissent : du pain, du lait… viiiiite ! Peut-être est-ce un effet collatéral du Covid pour pallier la perte de goût de certains malades ou le besoin d’exotisme empêché par l’interdiction de voyager. Toujours est-il que le piquant est à la mode et les marques de condiments le déclinent… à toutes les sauces. Pas facile d’ailleurs de définir cette saveur. C’est épicé, mais certaines épices sont douces. C’est pimenté, mais plusieurs ingrédients ne sont pas des piments. C’est piquant, mais sans aiguille. C’est brûlant, mais sans feu. Les plus jeunes diront « ça arrache » ou « ça déchire », les Tontons Flingueurs, utilisaient « c’est du brutal ».
Les scientifiques apportent un éclairage : les capsaïcinoïdes (composé chimique contenu dans les piments et autres aliments piquants) ont la caractéristique d’activer les récepteurs de chaleurs de la peau, ce qui entraîne la sensation de brûlure, alors qu’il n’y a pas d’augmentation de température (à l’inverse, le menthol donne une sensation de froid sans baisse de température). Chaque aliment piquant a sa propre molécule, la capsaïcine pour le piment, le shogaol pour le gingembre, la pipérine pour le poivre, les glucosinolates, pour la moutarde ou le raifort.
Certains piments contiennent plus de capsaïcine que d’autres. On détermine leur force en les classant sur l’échelle de Scoville, du nom de Wilbur Lincoln Scoville, un pharmacologue du siècle dernier. En 1912, il a mis au point un système pour mesurer la force des piments. Le principe est de préparer une solution de piments frais réduit en purée et de la mélanger avec de l’eau sucrée. Les solutions sont goûtées par cinq personnes et tant que la sensation de brûlure persiste, on poursuit la dilution. Par exemple, le piment de Cayenne doit être dilué entre 30 et 50 000 fois pour ne plus ressentir la sensation de brûlure alors que le poivron, très peu piquant plafonne à cent fois. Quelques points de repère permettent de se situer : le pepperoncini italien affiche 500, le jalapeño peut monter jusqu’à 8 000, son dérivé séché et grillé, le chipotle plane à 10 000… Les plus forts, habanero, scotch bonnet, buth jolokia, scorpion butch taylor ou Carolina Reaper grimpent dans des sphères à cinq ou six zéros. Ce dernier se targue de 1,8 à 2,2 millions sur l’échelle de Scoville et s’est vu attribuer le titre de piment le plus fort du monde par le Livre Guinness des Records en 2013.
Avec l’émergence des cuisines internationales, mexicaine, thaï, coréenne, indienne, les palais européens se sont familiarisés avec le piquant et en redemandent. La mode des sauces piquantes (hot sauce en version originale), vient bien évidemment des États-Unis où elle a envahi la culture pop depuis une bonne quinzaine d’années. Hillary Clinton racontait qu’elle avait toujours dans son sac un flacon de Ninja Squirrel, une sauce fabriquée au Texas à base de habanero, Beyoncé chantait (dans Formation) « I got hot sauce in my bag, swag », Bart Simpson utilise de la Sriracha (la bouteille rouge au bouchon vert est très reconnaissable) et une série de stars américaines (du rap, du basket et du football ou de la télé) ont lancé leurs marques de sauce. Les Américains ont même inventé un mot pour les désigner : Les « chiliheads », littéralement têtes de piment, font des concours, se vantent de croquer les piments les plus forts ou accompagnent tous leurs plats de sauces aux noms évocateurs, dignes de groupes de metal des années 90 : Hellfire devil, Nothing beyond hot, Vicious viper, Lethal ingestion, Kiss of fire, Endorphine rush… Les classiques Tabasco et Sriracha ont bien des concurrents.
Il faut dire qu’une sauce piquante, c’est assez facile à imaginer : piment, vinaigre (pour la conservation), légumes ou fruits, ail, oignon, épices, sel, sucre… de la cuisson, de la fermentation, du fumage… Mais pour arriver à stabiliser une recette et faire en sorte qu’elle trouve son marché, c’est évidemment une autre paire de manches. Au Luxembourg, Tom Hickey (un des associés à la tête des bars Urban, Paname et consorts), fabrique depuis longtemps « des sauces piquantes, fermentées faites maison avec des piments qu’il fait pousser, pour les amis ». Maintenant que le groupe exploite une grande cuisine centrale, il va passer à la vitesse supérieure et distribuer ses produits à destination de l’horeca.
Récemment, Luxembourg a reçu la visite de Thibault Fournal qui a lancé à Bruxelles la marque Swet autour de laquelle le hype n’a pas tardé à enfler. Il faut dire qu’il coche toutes les cases : artisanal, bio, local (certains des piments poussent sur les toits de Bruxelles, les poires de la Pear for tears sont belges…) et saisonnier (chaque mois, une nouvelle sauce est expérimentée). Lors de son « Torture test » (une dizaine de sauces en dégustation) on a pu découvrir la Fumado, avec une saveur profonde de piments fumés, associée à des oignons, du cidre, de l’ail et de la cassonade, on a versé une larme avec la Sun Burn (piments frais habanero, mangues, gingembre, zeste de citron vert) à la fois fraîche et explosive et on s’est délecté de la Amaï, où les piments sont marinés dans de la bière (bruxelloise évidemment). Ça dépote !
Article initialement paru dans d’Lëtzebuerger Land (photo: Hadrien Friob)