On en a rêvé, Emmanuel Guillemain d’Echon l’a fait : Un tour du monde à la découverte des raviolis à travers celles et ceux qui les font
Il y a ceux que l’on a déjà mangé : tortellini, agnolotti, bouchons pierogi, gyoza, ravioles, momo, xiolongbao ou wonton. Il y a ceux dont on a entendu parlé : khinkali, manti, jiaozi, knepple ou knödel. Et puis, il y en a des dizaines aux noms plus ou moins prononçables. Le journaliste Emmanuel Guillemain d’Echon les a rassemblés sous le terme générique (et français) de ravioli. Un nom forcément au pluriel pour un met singulier.

Dans son Raviolivre. Le tour du monde d’un fou de raviolis. Routes, recettes et tours de main, il mène une quête à travers seize pays pour découvrir les secrets de ces petites bouchées. Il a passé plusieurs années à parcourir la planète à la recherche des raviolis de tous les pays et de toutes les formes. Il va à la rencontre des individus ordinaires – pas des chefs et des restaurants –, convaincu que ce savoir se niche au cœur des mains chaleureuses des mères et des grands-mères, seules véritables détentrices de la puissance des pâtes farcies. Elles cuisinent en famille ou en groupes informels, les raviolis en suivant leurs recettes, leurs traditions, leurs façons de faire. Cela donne un ouvrage absolument passionnant, instructif, souvent drôle, parfois tendre, bourré de photos, d’anecdotes, de détails et de gourmandise. Un guide culinaire et civilisationnel, à travers les âges et les continents.
François-Régis Gaudry et sa bande s’étaient déjà essayés à un exposé de la « Galaxie raviolis » dans le premier livre On va déguster (Marabout, 2015). Ils disaient la diversité « intersidérale » de cette spécialité, « petites enveloppes de pâte garnies d’une farce à base de viande, de légumes ou de fromage. En demi-lune, en berlingots ou en carrés; frits, bouillis ou cuits à la vapeur; de Chine, d’Italie ou des pays de l’ancienne route de la soie. »

Emmanuel Guillemain d’Echon aussi invente une définition du ravioli pour circonscrire sa quête : des pâtes farcies se tenant par elles-mêmes, de petite taille, cuites essentiellement à l’eau, vapeur ou bouillies. Il ajoute la pâte et la farce doivent cuire en même temps, il ne peut s’agir d’un assemblage après coup. « Exit donc tout ce qui s’emballe dans une feuille : zongzi chinois et malaisiens, tamales mexicains, binaki philippins…Exit aussi tout ce qui est frit dans l’huile ou se cuit au four (sauf les manti turcs, qui sont à moitié frits ou cuits au four, et à moitié cuits à la vapeur, tout comme les gyoza ou les guo tie).
Son périple démarre dans les montagnes de Géorgie, pour façonner et déguster les khinkali, qui « trône au sommet de la chaîne ravioline ». C’est un des rares raviolis (avec le xialongbao chinois) avec du bouillon à l’intérieur : ça se mange avec les mains, on aspire de bouillon avant de croquer dans la viande. « Le jus du khinkali, comme un torrent grondant et impétueux, charrie les effluves rocambolesques du carvi sauvage, il roule dans ses flots brûlants de passion des blocs fumants de viande grossièrement hachée », lit-on dans les premières pages du livre. Mais l’auteur ne s’adonne pas à un lyrisme béat, il raconte des aventures humaines, du vécu : « Je ne sais plus très bien comment la journée s’est terminée. Je me suis égaré dans toasts portés par Rézo. C’est sans doute ce genre de détours éthyliques qui expliquent que, si je tourne autour de la pyramide du khinkali depuis des années, j’ai l’impression que je n’aurai jamais fini d’en gravir les pentes. »

Ensuite direction la Russie, l’Italie, les Balkans, la Turquie, l’Allemagne, l’Autriche, la Tchéquie, la Pologne, l’Ukraine. Cap à l’Ouest avec la France, puis le Québec, avant d’arriver en Asie avec la Corée, la Mongolie, la Chine et l’Inde. À chaque étape le journaliste toque aux portes, parfois au hasard, pour découvrir les spécialités locales et avec elles des familles, des recettes, des légendes, des coutumes. Emmanuel Guillemain d’Echon égraine les noms des personnes et décrit leur environnement jusque dans les odeurs et la vapeur. En Italie, il participe à une réunion d’anciens ouvriers (toujours communistes) où le lambusco rougit le bouillon des cappelletti. En Allemagne, Frau Heim, accepte de lui cuisiner des «Maultaschen» poêlés dans une compotée d’oignons confits. En Autriche, il marchande, contre une assiette de Knödel, de participer aux travaux de la maison. Au Québec, il est invité à partager un repas de Noël avec une famille où l’on cuisine les «plottes à ma grand-mère», qui déclenchent l’hilarité de tout le monde (car plotte est aussi un terme argotique pour le sexe féminin). Nouvel an aussi en Chine sous le signe du cochon alors qu’en Inde, c’est l’éléphant Ganesh qui reçoit les offrandes de modak.
L’auteur met (littéralement) la main à la pâte pour mieux détailler la manière de réaliser les jiaozi, plottes, pierogis, mandous et autres ravjul. Il décrit les pâtes de blé, de riz, de sarrasin ou d’igname, farcies à la viande, aux herbes, au fromage, aux légumes, à la noix de coco ou aux cerises. On comprend avec lui que la préparation des raviolis est un moment de rassemblement où on crée du lien et des souvenirs. Il fait preuve d’érudition (et cite de nombreuses références en fin du livre), pour parler d’étymologie, de routes historiques qu’ont suivis les ingrédients, de rapports entre les différentes cultures à différentes époques.
Le livre se lit comme un récit de voyage, une épopée qui va au-delà de la nourriture en embrassant notre rapport à la fête, au sacré et à la famille. Le ravioli en devient une bouchée universelle symbole de partage et de transmission.
Le cahier central, plus pratique, présente des astuces, conseils et tours de main qui donnent immédiatement envie de s’y mettre.

Raviolivre d’Emmanuel Guillemain d’Echon, Keribus éditions, Paris, 2024, 542 pp., 34 euros.