Wagon-Bar, petite histoire de la nourriture embarquée retrace plus de 150 années de restauration ferroviaire. Quand on n’a pas la chance d’aller voir l’expo aux Rencontres d’Arles, on peut lire le bouquin, richement illustré.
Vous avez vu cet épisode de Top Chef (saison 15) où les candidats doivent cuisiner à bord de l’Orient-Express ? C’est digne d’une épreuve sportive : Une cuisine de 8 m2, du mouvement, de la chaleur et un timing serré. L’émission fait bien sûr la pub de ce train mythique qui est en plein revival (pour être précise, il s’agit du Venise-Simplon-Orient Express), mais elle met aussi en avant tout l’imaginaire qui va avec la gastronomie ferroviaire. Le commun des mortels qui ne peut pas se payer le billet (pas loin de 4.000 euros la place !) se contentera de faire la file dans la voiture 14 dans le TGV pour commander un croque-monsieur, un sandwich ou un des plats signé Michel Sarran (tiens, encore du Top Chef) ou Thierry Marx.
Cela n’a évidemment pas toujours été comme ça. L’histoire de la restauration à bord des trains est presque aussi ancienne que celle des trains eux-mêmes. C’est ce que détaille Arthur Mettetal, commissaire de l’exposition et auteur principal du livre qui portent le titre explicite : Wagon-Bar, petite histoire de la nourriture embarquée. Ils nous embarquent dans une aventure culinaire démontrant comment la bataille du rail est aussi partie à la conquête de nos papilles.
Si l’histoire de la restauration ferroviaire débute dans les buffets de gare, des repas sont servis à bord des trains dès les années 1860 aux États-Unis, pionniers dans l’agrémentation des transports ferroviaires, notamment grâce au colonel Pullman qui crée les premiers wagons-lits dès 1867. L’ingénieur belge Georges Nagelmackers décide d’importer ce concept en Europe et crée en 1872 un réseau international de trains de luxe qui intègre voitures-lits et voitures-restaurants: la Compagnie internationale des wagons-lits (CIWL). Cette société est la CIWL est surtout connue pour l’exploitation de ses trains de luxe : l’Orient-Express, le Train Bleu, l’Étoile du Nord, la Flèche d’Or… L’introduction des voitures-restaurants, à partir des années 1880, constitue une véritable révolution. Avec elles, il est désormais possible de manger à bord, en roulant, et la promesse de la compagnie est de proposer un aussi bon repas que celui d’une bonne table parisienne : élégant décor de restaurant, avec serveurs en nœuds pap’, menus saisonniers de mets recherché, vins fins et arts de la table raffinés. «La gastronomie embarquée fait bien partie d’un luxe ferroviaire qui s’articule autour de la vitesse, la sécurité et le service», décrit l’auteur.
Les menus sont mitonnés à bord du train, ce qui requiert une organisation, un savoir-faire et des technologies exigeantes. Les premières voitures restaurant pèsent 59 tonnes. Elles gagnent des fourneaux électriques dans les années 1920 et des frigos dans les années 1930. Le défi sera de les alléger toujours plus et de trouver un modèle économiquement rentable. Une partie du livre est consacré aux coulisses logistiques indispensables pour mener à bien cette entreprise de restauration : entrepôts pour les vins et boissons, cuisine centrale pour préparation en amont, magasin de vaisselle, fabrique de glace pour maintenir le froid (des mouleaux de 25 kg).
Après l’âge d’or du luxe ferroviaire qui se situe dans l’entre-deux-guerres, de nouvelles formules apparaissent et de nombreuses innovations remettent en question l’approche traditionnelle. Dans les années cinquante, apparaissent des voitures-buffets en libre-service, des voitures «bar et snack», de la vente ambulante et des plateaux-repas. À partir des années 1970, le wagon-restaurant cède sa place à la vente ambulante puis au simple bar.
Les compagnies s’inspirent du modèle aérien et de la modernité qu’il incarne : la cuisine n’est plus réalisée à bord des trains mais dans des cuisines industrielles comme celles de la restauration collective. « L’augmentation de la vitesse des trains et l’augmentation de leur exploitation fait qu’il est plus compliqué d’organiser le ravitaillement des trains et de la cuisine. On privilégie finalement un modèle qui se base plutôt sur le domaine de l’aviation, où on cuisine tout à l’extérieur des trains », relate Arnaud Mettetal.
Dans l’assiette, place aux snacks et aux sandwichs ! Les images de la SNCF offrent un certain charme suranné, qu’elles documentent l’offre de croque-monsieur ou bien les différents relookings de l’espace dédié qui n’a finalement jamais disparu. Les photographies publicitaires nous plongent dans un univers régressif, teinté de nostalgie, même si les vues de croque-monsieur ou de « salades Corail » sont assez peu appétissantes. C’est une forme d’anthropologie qui se dessine en creux, les images documentant leur époque et dessinant une histoire du travail et des loisirs, de l’innovation, du goût et de l’esthétique.
Aujourd’hui, on trouve dans les gares toutes sortes de nourritures à ranger dans la catégorie «convenience food», pour ne pas dire fast food ou junk food. Les wagons restaurants sont exploités par des sociétés spécialisées dans la restauration collective et embarquée. Des efforts sont faits sur la présentation des plats et la recherche des recettes, mais on n’est très loin du raffinement d’antan. Avec le retour en grâce des trains de nuit, la restauration à bord pourrait retrouver un nouvel élan et un nouvel attrait.
Wagon-Bar, petite histoire de la nourriture embarquée, Arthur Mettetal, Géry Nolan, Jean-Pierre Williot. Éditions Textuel, 224 pages, 29 €.