Retour sur la performance « Les Papillons de résistance » de Claudia Passeri.
Un papillon, ce n’est pas seulement un insecte lépidoptère. C’est aussi, selon Le Robert, une feuille jointe à un livre – le terme est recommandé pour remplacé l’antonomase de Post-it – ou, en langage familier, une contravention. Les tracts que la Résistance française distribuait sous l’Occupation, étaient appelés «Papillons de résistance». En 2017, l’artiste Claudia Passeri initiait un projet performatif et d’écriture qui portait ce titre. J’y avais participé parce qu’il s’agit de nourriture, de nourriture italienne en plus, de nourriture italienne faite maison par l’artiste de surcroît. Irrésistible donc.
Cet automne, Claudia a ravivé la performance au Bridderhaus, déployant son dispositif plus largement, ajoutant des couches esthétiques et conceptuelles au projet. On y était aussi. Ça se passe dans ce qui deviendra le restaurant du lieu. Une longue table d’hôtes est dressée avec ces nappes à carreaux caractéristiques des trattoria italiennes. Et comme dans beaucoup de ces établissements, les assiettes sont décorées de messages peints en bleu d’une écriture scolaire. Mais là où on lit généralement des dictons comme «ho una fame di lupo» ou «l’amore passa, la fame no», les slogans sont ici plus personnels, plus métaphoriques, plus polysémiques aussi. «Prima figlia femina», «Sans couronne et sans escorte», «Imaginaire bestiaire» ou le tout simple mais ô combien chargé de sens «Peccato».
Le néon Modesta Moderna oppose deux termes qui désignent les femmes, en tout cas dans la bouche de la grand-mère de l’artiste comme elle le détaille. Pour elle, la modeste est le modèle à suivre, elle ne revendique pas, elle ne parle pas haut : une sainte. La moderne est connotée négativement, elle s’habille trop court et veut s’émanciper : une pute.
C’est bien sûr Claudia qui a préparé le repas.
D’abord, une classique Pappa al pomodoro, un plat toscan paysan, où du pain rassis cuit avec des tomates pour devenir une sorte de soupe épaisse. Un caviar d’aubergine et des haricots au citron complètent l’entrée.
Des pâtes au pesto et au radicchio. Un plat doux, l’autre amer… comme la vie.
Et des oranges aux épices pour finir.
Ce qu’on a dans l’assiette n’est pas tant le sujet. La convivialité est de mise, on parle à tout le monde, de tout, dans toutes les langues disponibles. Le manger est le médiateur du vivre-ensemble, du collectif. La performance est forcément en évolution constante puisqu’elle dépend des convives, des lieux, des discussions. C’est une forme d’acte de résistance : « ce projet est un travail sur la réunion, sur l’actualité de la ‘logique de refus’, en développant la forme que peut prendre un acte de conscience, la mobilisation autour d’un motif artistique », explique l’artiste.
Il faut attendre la fin de la performance pour en saisir l’intitulé. Au terme du repas, les participants reçoivent une facture manuscrite, avec les slogans des assiettes imprimés au verso. Ces éditions limitées, ces papillons fragiles et utilitaires, se disperseront au gré des convives.
« L’art est un état de rencontre », notait Nicolas Bourriaud pour décrire ce qu’il appelle l’esthétique relationnelle. Pour lui, les relations humaines, au même titre que celle de la consommation dans les années 1960, reconfigure les pratiques artistiques et produit des formes originales. Le travail de Claudia Passeri correspond parfaitement à ce cadre. Elle essaime ses messages de manière légère et ironique, mais ils ne perdent en rien leur force politique. Car en questionnant notre rapport aux autres, notre perception des lieux et du temps, elle transforme notre regard sur le monde.